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Conseil de l'Europe

Une Charte européenne de l'interconvictionnalité

Suggestions en vue de l’établissement d’une Charte européenne de l’interconvictionnalité
émises par le Groupe International, Interculturel et Interconvictionnel (G3i)

Avant-propos

François Becker annonce que ce texte sera presenté au Senat français le 19 septembre 2017 et que con contenu pourrait être modifié légèrement après.

Ce document commence par donner une définition du terme « conviction », individuelle ou collective, cette composante fondamentale de la diversité humaine et des échanges ou des confrontations qu’elle induit entre personnes ou entre collectivités humaines. Cette diversité convictionnelle, qui est souvent source de conflits pouvant être violents, peut aussi être la base de progrès individuels et collectifs si on la considère non pas comme un obstacle à la vie en commun mais au contraire comme une source potentielle d’enrichissement réciproque et de renforcement de l’efficacité des actions d’intérêt partagé.

Promouvoir l’utilisation du néologisme interconvictionnalité découle de ces constats. Celui-ci permet en effet de qualifier les attitudes, les dialogues et les pratiques ayant pour objet spécifique d’organiser le vivre ensemble, le dialogue et la confrontation non violente entre des personnes ou des communautés de convictions différentes aux fins d’une meilleure compréhension mutuelle mais aussi et surtout dans le but d’explorer toutes les possibilités d’agir en commun, même lorsque subsistent de fortes divergences dans les motivations des objectifs poursuivis. Ce concept permet aussi de définir les institutions et les espaces adaptés à ces fins.

Le projet ici exposé comprend deux parties complémentaires. La première définit le possible contenu d’une Charte ayant ces objectifs, la seconde concerne les raisons qui légitimeraient son inscription dans les préoccupations majeures des institutions européennes.

Première partie : le possible contenu de la Charte

Considérant que l’ensemble des êtres humains constitue une unité générique dotée d’une extrême pluralité dans ses modalités d’existence et d’échanges,

Considérant que l’histoire de l’espèce humaine, sans doute depuis ses origines, témoigne de multiples formes de solidarité mais aussi de conflits dont la violence peut avoir, de nos jours, la capacité de conduire à l’extinction de l’espèce, voire de toute vie sur terre,

Constatant que, face à ces risques, les nations se sont dotées d’instruments juridiques internationaux réaffirmant l’égale dignité de tous les membres de la famille humaine, visant à assurer leur égalité en droits civiques, sociaux et culturels, individuels et collectifs, le respect des libertés fondamentales, et à favoriser le progrès social et la paix dans le monde,

Rappelant que, dans cet esprit, la Charte des Nations Unies de 1945 proclame dans son préambule que « les peuples des Nations Unies sont résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre, à pratiquer la tolérance, à vivre en paix les uns avec les autres dans un esprit de bon voisinage »,

Rappelant que la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948 dispose, dans ses articles 18 et 19 que :

a) toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce qui implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ; et que :

b) tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit,

Rappelant que la Convention européenne des droits de l’homme  de 1950, dans son article 9, et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000, dans son article 10,  s'expriment de façon analogue au sujet  de "la liberté de pensée, de conscience et de religion",

Rappelant que la Déclaration Universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle du 2 nov. 2001 affirme que : « La culture doit être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».Et aussi que : « La culture se trouve au cœur des débats contemporains sur l’identité, la cohésion sociale et le développement d’une économie fondée sur le savoir », et encore que « le respect de la diversité des cultures, la tolérance, le dialogue et la coopération, dans un climat de confiance et de compréhension mutuelles sont un des meilleurs gages de la paix et de la sécurité internationales ».

Constatant enfin que, si les relations internationales ont été organisées par de nombreuses chartes, traités ou pactes, si la coopération et les dialogues interculturels ont aussi fait l’objet de multiples conventions ou directives internationales, les relations interconvictionnelles entre personnes ou communautés, ayant des convictions diversifiées n’ont jamais fait l’objet de dispositifs juridiques ou d’institutions destinées à les expliciter, à en préciser le rôle et les objectifs, à en déterminer les formes et à les organiser aux divers niveaux où elles sont pourtant indispensables,

Le G3i suggère, pour pallier cette carence, que soit rédigée et mise en œuvre une Charte européenne de l’interconvictionnalité dont les dispositions, applicables aux États et aux peuples de l’Europe, pourraient s’inspirer des éléments qui suivent.

Titre I : Des convictions

Art.1. Une conviction est un assentiment de l’esprit tout entier – raison, volonté et sentiment – appuyé sur des justifications jugées suffisantes pour entraîner l’adhésion. Elle peut être de nature philosophique, religieuse, politique, sociale ou culturelle.
Art.2. Les convictions personnelles sont des composantes essentielles de la liberté de pensée et de la liberté de conscience.
Art.3. Toute personne a le droit inaliénable d’avoir des convictions, d’en faire état et le cas échéant d’en changer.
Art.4. Aucune personne ne peut se déclarer détentrice d’une vérité d’ordre convictionnel qu’elle serait dès lors autorisée à imposer aux autres.
Art.5. Les convictions personnelles résultent d’une multiplicité de facteurs, constitutifs de la diversité humaine. Certains de ces facteurs, au premier rang desquels l’éducation, ont vocation à être émancipateurs. D’autres sont porteurs de risques d’enfermement et d’intolérance, voire de violences à l’égard de ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions.
Art.6. Une conviction personnelle peut être acquise, intériorisée ou exprimée à divers degrés d’engagement et d’intensité, ce qui lui confère des potentialités d’évolution et rend praticables des compromis différenciés.
Art.7. Des communautés peuvent librement se constituer sur la base de convictions partagées dès lors qu’elles acceptent des règles de coexistence non violente avec les tenants d’autres convictions, détenteurs des mêmes droits et respectueux des mêmes règles.

Titre II : Échanges interconvictionnels et identité personnelle

Art.8. Tout au long de l’existence les convictions personnelles se constituent et s’éprouvent dans une confrontation avec d’autres convictions.
Art.9. L’École est le premier lieu de reconnaissance de la diversité convictionnelle et d’apprentissage du dialogue interconvictionnel.
Art.10. Deux attitudes peuvent être adoptées vis-à-vis de l’existence de la diversité des convictions : les considérer comme des obstacles à la pérennité des identités personnelles ou au contraire comme des facteurs contribuant à leur permettre d’évoluer et de s’enrichir au contact des autres.
Art.11. La première attitude tend à conduire à un repli identitaire et expose à un risque de rejet, le cas échéant violent, de l’autre.
Art.12. La seconde attitude implique de reconnaître non seulement l’égale dignité et l’égalité en droits de tous les êtres humains, mais aussi leurs apports potentiels aux autres du fait même de leurs différences.
Art.13. La pratique de l’échange interconvictionnel, notamment par des débats « non conclusifs », offre la chance de mieux se connaître et de mieux connaître les autres en même temps qu’elle avive le désir d’être reconnu par eux jusque dans nos convictions les plus profondes. Elle conduit ainsi à une nécessaire reconnaissance mutuelle.

Titre III : Débats interconvictionnels et vie collective

Art.14. La diversité des convictions au sein d’une société implique, à l’échelle collective, l’existence d’échanges interconvictionnels qui renforcent la compréhension mutuelle et qui soient susceptibles d’aboutir à des actions communes ou tout au moins reconnues comme pouvant être acceptées même si elles suscitent des réserves.
Art.15. Les pratiques interconvictionnelles sont le fondement de l’exercice responsable des libertés. Elles contribuent à gérer les conflits de façon non-violente.
Art.16. Les pratiques interconvictionnelles ont vocation à structurer ou à faire progresser le fonctionnement des organisations collectives, privées ou publiques, dont celui des réseaux associatifs de la société civile et des organisations non-gouvernementales.
Art.17. Les pratiques, les espaces et les structures interconvictionnels sont le support de la participation régulière des citoyens à la vie politique, sociale et culturelle de la cité, à la genèse et au contrôle des décisions prises par les instances qu’ils ont déléguées pour ce faire aux divers niveaux de l’organisation politique de la société.
Art. 18. C’est en particulier dans l’élaboration des politiques locales et régionales que les pratiques interconvictionnelles manifestent leur utilité, voire leur nécessité : elles garantissent les meilleures chances d’équité et d’efficacité. La délibération citoyenne, à l’échelon requis, est une composante de toute gouvernance démocratique.
Art.19. Les débats interconvictionnels n’ont pas vocation à remettre en question l’organisation délégataire des pouvoirs politiques décisionnels : ils interviennent légitimement en amont des décisions prises par les instances qui ont pour mission de les arrêter au nom des citoyens puis dans le suivi de leur mise en œuvre.

Seconde partie : Prise en compte du projet de Charte par les institutions officielles européennes

Constatant la diversité politique, sociale et culturelle des États et peuples européens,

Constatant que l’Europe s’est dotée, entre autres, de deux institutions publiques majeures : le Conseil de l’Europe, qui associe 47 États, et l’Union européenne, qui concerne actuellement 28 d’entre eux,

Rappelant que les deux Traités de Lisbonne qui définissent et codifient le fonctionnement des institutions de l’Union Européenne ont reconnu la nécessité d’une participation accrue de la société civile et de ses associations dans la conduite des affaires européennes (art.11, §§1 et 2 de la version consolidée du TUE ; art.17, §3 du TFUE) mais constatant qu’en pratique, l’Union ne propose en aucune manière des contacts réguliers élargis à toutes les familles de convictions.

Constatant que les conditions actuelles de fonctionnement de l’Union européenne font l’objet de multiples interrogations et critiques de la part d’une large fraction des peuples qu’elle est censée « unir » et que son image à leurs yeux est souvent négative, du fait notamment d’une implication insuffisante des citoyens européens eux-mêmes dans ce fonctionnement,

Constatant le rôle important mais encore insuffisant que jouent, pour rapprocher les citoyens des institutions européennes officielles, des institutions de la société civile telles que la Conférence des Organisations Internationales Non Gouvernementales (OING), créée à l’initiative du Conseil de l’Europe, ou le Forum civique européen,

Rappelant que la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe (1950) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) apportent des précisions concernant la liberté de manifester sa religion ou ses convictions,

Rappelant que le Conseil de l’Europe a insisté à plusieurs reprises, notamment dans son « Livre Blanc sur le dialogue interculturel » (2008),dans le « Code de bonne pratique pour la participation civile au processus décisionnel » (2009) et dans « l’Outil de dialogue » (2012), sur l’importance d’un dialogue interculturel prenant en compte ses dimensions religieuses mais aussi convictionnelles ; qu’il a accueilli, en 2007 et 2012, deux Conférences internationales portant directement sur le thème de l’interconvictionnalité organisées par le G3i,

Soulignant que les échanges interconvictionnels sont aujourd’hui une nécessité au sein des sociétés pluralistes européennes pour prendre en compte leur diversité culturelle et convictionnelle, contribuer à la gestion non-violente de conflits, et développer la coopération entre les peuples, et qu’il est de la responsabilité des institutions publiques européennes de les ériger en méthodes rénovées d’information, de délibération, de préparation et de suivi des décisions politiques, contribuant ainsi à l’émergence d’une culture européenne interconvictionnelle.

Le G3i propose au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne d’inscrire l’établissement d’une Charte européenne de l’interconvictionnalité dans leurs projets opérationnels. Il conviendrait, une fois cette Charte rédigée puis ratifiée, que chaque institution concernée soit invitée à la mettre en œuvre. Une telle mise en œuvre impliquerait une formation spécifique, facilitée par la rédaction d’un guide des bonnes pratiques en la matière.